La crise sanitaire provoquée par la pandémie de COVID-19 a mis en lumière une vulnérabilité que les gouvernements n’avaient pas anticipée, un ennemi capable de mettre à quai des porte-avions. Les pays détenteurs d’armes nucléaires sont parmi les plus touchés par cette pandémie.
Il est trop tôt pour expliquer avec certitude le faible taux de mortalité en Allemagne, cependant on notera que ce pays, non-nucléaire, possède un nombre de lits en soins intensifs par habitant parmi les plus élevés au monde, près du double de celui de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis. Les rémunérations des soignants en Allemagne sont aussi nettement plus élevées qu’en France.
La pandémie de grippe espagnole a montré qu’un virus peut faire plus de victimes qu’une guerre mais surtout, que la mutation d’un virus peut provoquer une seconde vague pandémique plus meurtrière que la première. Le pire n’est jamais certain, toutefois il faut s’y préparer et équiper nos hôpitaux pour pouvoir faire face à un nouvel afflux de patients atteints de COVID-19.
Pour le même proche avenir, des sommes considérables ont été inscrites au budget de la France pour maintenir et moderniser sa force de dissuasion nucléaire : 37 milliards d’Euros doivent y être consacrés d’ici 2025, dont 5 milliards d’Euros par an d’ici 2023. Or une partie de cette somme pourrait avoir un impact considérable sur l’amélioration de nos capacités sanitaires.
En retardant d’au moins trois ans la modernisation de la force de dissuasion nucléaire nous pourrions investir plusieurs milliards d’Euros dans la revalorisation des carrières et des salaires des soignants et dans nos capacités sanitaires, ainsi que dans la recherche sur l’émergence de prochains virus.
L’armée, et en particulier son service de santé, a joué un rôle important dans la gestion de l’épidémie et cette réaffectation budgétaire lui permettrait de contribuer de manière décisive à la création d’une capacité sanitaire capable de se projeter rapidement, que ce soit en France métropolitaine, outre-mer ou à l’étranger.
La modernisation des forces de dissuasion nucléaire bénéficierait avant tout à de grands groupes industriels français. Ceux-ci ont montré pendant la crise sanitaire leur capacité d’adaptation et ont produit du matériel médical. Ils l’ont d’ailleurs revendiqué sur leurs sites web ou dans la presse. La réaffectation ne serait donc pas source de perte d’emplois ni même de revenus pour ces groupes.
Pour justifier le maintien d’une force de dissuasion importante, le prestige de la France et sa place dans le monde sont souvent évoqués. La crise sanitaire actuelle va rebattre les cartes. Dans les années avenir, la capacité à bien anticiper et gérer une pandémie sur son territoire, et à aider d’autres nations touchées, sera probablement plus prestigieuse. Un moratoire de trois ans sur la modernisation de la force de dissuasion permettra aussi à la France de montrer sa volonté de progresser dans la voie du désarmement nucléaire, en particulier en vue de la prochaine conférence d’examen du Traité de Non-Prolifération en janvier 2021.
Retardons la modernisation de la force de dissuasion nucléaire, afin d’acquérir une capacité de réponse sanitaire au meilleur niveau. Et exposons enfin au débat démocratique la nécessité d’une dissuasion nucléaire.
Jacques Bordé
Nicolas Delerue
Annick Suzor-Weiner